Je vais commencer par vous poser une colle les copains. A votre avis, dans laquelle des deux situations suivantes suis-je obligé de porter un masque sous peine d’amende : en descendant à pieds les Champs Elysées, ou bien seul au volant de ma voiture rue Ménilmontant ?
La réponse vous semble évidente ? Et bien c’est pour cela que vous n’êtes pas préfet de Paris, vous n’avez pas tous les tenants et les aboutissants… car ne vous faites pas avoir les amis : vous pouvez déambuler sans masque sur les Champs ou même au pied de la Tour Eiffel, par contre seul au volant rue Ménilmontant ou rue d’Avron vous êtes verbalisable, le détail ici…. Quand vous lirez ces lignes les règles auront peut-être déjà changé, il y a bien quelqu’un de cartésien qui finira par se pencher sur le sujet et éclairer sa hiérarchie.
D’ici là je vous emmène balader loin de Paris et de sa canicule, dans la belle région de Touraine, au fil de la Loire sauvage et de ses châteaux qui la surplombent, ambiance “Je me rallierais bien à un panaché blanc, surtout s’il est bien frais” c’est parti…
Au fil de l’eau
Généralement lorsque je descends en Touraine je quitte l’autoroute à Blois puis j’emprunte la jolie départementale qui suit la Loire et ses bancs de sables en traversant des petits villages aux toits bleutés, parfois réduits à une seule rue. Attention la route est très facile et on est vite à la limite autorisée, il ne faut pas se laisser trop absorber par le paysage, les rares points que j’ai perdus c’est là-bas.
Une des grandes spécificités de la région c’est évidemment ses châteaux dont il est impossible de trouver une liste exhaustive tellement ils sont nombreux. Ce nombre peut s’expliquer par le fait que dès le Moyen Age les nombreux seigneurs du coins se sont pas mal bagarrés entre eux pour étendre leurs domaines, puis ont affronté (ou rallié) les anglais lors de la terrible Guerre de Cent Ans, qui est au passage la période qui m’intéresse le plus et que je finirai bien par caser (cent ans en vingt phrases, l’exercice de synthèse ultime…) Enfin, avec la Renaissance, les monarques français ont fait de la Loire la Vallée des Rois en y installant leurs lieux de villégiature.
Tout cela mis bout à bout fait que si en Touraine vous jetez une pièce en l’air, elle a de fortes chances de retomber sur un château. Et pour cette escapade express cap sur deux domaines que tout semble opposer mais qui ont été le théâtre de la lutte entre deux rivales amoureuses: le majestueux Chenonceau et le confidentiel Chaumont sur Loire
Chaumont sur Loire
Chaumont sur Loire, il faut imaginer une longue rue sans âme qui longe la rivière, quelques restaurants désuets, des cyclistes qui cassent la croûte à l’abri d’un soleil en mode canicule et qui poudroie encore plus fort que dans le conte de Perrault. Un village somme toute qui n’aurait rien d’exceptionnel s’il n’était dominé par ce château massif que l’on aperçoit de loin quand on arrive depuis Blois.
Le temps de prendre quelques forces dans une sympathique crêperie qui vient tout juste d’être repris par un jeune couple, et c’est parti pour l’ascension du grand escalier sous une température hostile; la visite va se mériter.
Au Petit Troglo, crêperie..troglodyte Au bout du grand escalier, le château
Comme souvent on va remonter le temps et nous retrouver sous le règne d’Henri II, un roi discret dans nos livres d’histoire mais à qui tout réussi. Fils de l’illustre François 1er, il a épousé la terrible Catherine de Médicis, et comme tout roi qui se respecte il a une favorite, la jolie Diane de Poitiers.
Les Médicis, vous en avez certainement déjà entendu parler, sont une puissante famille (un clan) florentine qui a intégré tous les rouages du pouvoir. Chez les Médicis on est pape, roi, banquier, mécène, ou tout à la fois.
Catherine de Medicis nous avons déjà parlé lors d’articles précédents, c’est une figure qui a marqué l’Histoire de France surtout à l’époque des guerres de religion, et qui est parvenue à mettre trois de ses fils sur le trône. Mais lorsqu’elle arrive en France pour épouser le roi c’est une jeune ingénue de 14 ans qui va trouver face à elle sa jolie cousine Diane, une vraie sirène qui sait obtenir des hommes tout ce qu’elle veux. Henri II sera envoûté par Diane dès son plus jeune âge et jusqu’à sa mort. .
Une déco un peu psychédélique
Catherine va acquérir le château de Chaumont, et va s’y rendre souvent en compagnie de ses astrologues, dont le plus célèbre d’entre eux le fameux Michel de Nostredame, dit Nostradamus.
Nostradamus fait parti de ces personnages mythiques qu’on ne sait pas trop dans quelle époque placer, ce pourrait être le Moyen-Age comme l’Antiquité… Il est un peu le Didier Raoult de l’époque, médecin de formation il va se mettre à dos toute la profession (et même plus) en écrivant des prédictions, ce qui est très mal vu et qui va mettre fin à sa carrière. Entré au service du roi, l’astrologue va se lancer dans toutes sortes de divinations en se servant de supports improbables, il va prédire à la reine que ses trois fils vont régner, et il écrira ce mystérieux quatrain que nous éclairerons plus loin :
Le lyon ieune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle,
Dans cage d’or les yeux luy creuera,
Deux classes vne, puis mourir, mort cruelle.
Pendant ce temps la belle Diane de Poitiers a droit à tous les égards, dicte sa politique au roi, et s’est fait offrir le superbe château de Chenonceau que nous visiterons demain.
On en reste là pour Chaumont, le château est idéalement placé et mérite bien une petite visite en début ou en fin de road trip sur la Loire. Direction Tours pour la soirée, avant d’attaquer demain Chenonceau et voir ce qu’il est advenu de la reine et de la favorite.
Escale à Tours
Si vous devez passer quelques jours sur la Loire et si vous cherchez plutôt un camp de base en ville, vous avez le choix entre Tours et Blois. Les deux cités sont jolies, mais Tours est quand même plus centrale et beaucoup plus animée (bon je sais que j’ai une lectrice de Blois qui ne sera pas forcément d’accord 🙂 ).
Si vous passez en coup de vent il y a trois incontournables: la balade dans le vieux Tours, l’apéro sur la place Plum‘, et la fin de soirée à la Guinguette au pied du pont Wilson.
La place Plumereau (dite place plum’) avec ses maisons moyenâgeuses et ses bars à bières est le lieu de rendez vous des étudiants et des touristes, c’est la carte postale de la ville, le “must see”.
Pour dîner vous avez l’embarras du choix entre la place et la cathédrale, un endroit très sympa et sans prétention où j’avais dîné lors de ma précédente visite est les Fils à Maman très proche de la place.
Pour la visite qui nous intéresse le resto était pas mal mais le patron pas franchement sympa. J’ai fait croire à deux jeunes gentiment éméchés qui cherchaient des gens pour jouer à un sombre jeu de palets que j’étais un expert, les gars tout content ont déballé leur matériel devant les tables de la terrasse, et le patron est sorti tout énervé pour les faire déguerpir sans ménagement. Donc ce restal je ne le citerai pas auprès des cinq personnes en moyenne qui lisent mes articles..
Loire pastels
Pour finir la soirée il faut absolument aller à la Guinguette au bord de la rivière. J’ai connu cet endroit il y a je pense plus d’une dizaine d’années, ce soir là il y avait l’orage et les filles avaient improvisé une chorégraphie sous la pluie, en jouant avec leurs parapluies, pendant que le DJ passait “singing in the rain” en boucle. Instant féerique, je suis tombé amoureux du lieu.
Une excellente soirée sur Tours, demain c’est Chenonceau..
Chenonceau, le chateau des dames
S’il y a un château qu’il ne faut pas rater c’est bien celui là. Contrairement à beaucoup d’autres il n’est pas sur la Loire mais sur le Cher, et pour le coup il est vraiment sur le Cher puisqu’il enjambe carrément la rivière.
Revenons donc à nos deux rivales, pendant que la reine Catherine de Médicis, humiliée, attend son heure, la belle Diane profite de toutes les largesses du roi et elles sont nombreuses.
Eté 1559, Henri II a arraché une paix improbable et pour fêter cela il organise un tournoi. Vainqueur de deux combats devant sa belle il veut affronter le jeune Gabriel de Montgomery qui s’est fait remarquer depuis le début. L’entourage du roi le lui déconseille, mais hors de question de voir le play-boy briller devant sa Diane.
Le roi insiste et les deux chevaliers se positionnent face à face, prêts à charger (En champ bellique par singulier duelle)
Le jeune écossais porte un lion sur son bouclier, l’emblème de son pays. Les cavaliers s’élancent et le choc est terrible, le roi est désarçonné (Le lyon ieune le vieux surmontera)
La lance du jeune Gabriel ripe sur l’armure du roi et va frapper le visage en relevant la visière de son casque, le roi a un œil crevé et le visage bien enfoncé (Dans cage d’or les yeux luy creuera)
Malgré tous les “savants” à son chevet, Henri II va mourir à 42 ans dans d’horribles souffrances (Deux classes vne, puis mourir, mort cruelle)
Et oui, le quatrain de Nostradamus écrit quatre ans plus tôt semble prédire la mort du roi…
Une qui n’en mène pas large c’est la jolie Diane, car sans le roi elle perd toutes ses protections, et Catherine s’en frotte les mains…
Quand à Gabriel de Montgomery qui a du vivre un sacré instant norvégien, il sera épargné par le roi sur son lit de mort mais sera déchu de tout ses titres. Il rejoindra les armées protestantes et finira décapité, quand ça veut pas….
Diane ayant perdu tous ses appuis, la reine va lui interdire l’accès à la Cour, elle va lui reprendre le château de Chenonceau mais va lui donner en retour celui de Chaumont que Diane fera restaurer et fructifier. Lorsque Diane va pénétrer la première fois à Chaumont elle va être effrayé par tous les signes cabalistiques et ésotériques qui couvrent les sols et les murs, vestiges des soirées mystiques de la reine avec Nostradamus et sa bande de joyeux “prédicteurs”.
Diane de Poitiers mourra à 70 ans et ceux qui l’ont connue à cet âge la décrive comme toujours aussi belle… On pourrait presque faire un parallèle avec mon personnage historique féminin préféré, la belle Alienor d’Acquitaine. Mais la comparaison ne tient pas, Aliénor était une vraie aventurière, une reine punk très en avance sur son époque et qui a changé par ses actes le cours de l’histoire de la France et de l’Angleterre. Pour en savoir plus sur Aliénor c’est ici.
Au revoir Chenonceau
Et voilà pour cette brève escapade dans la vallée des rois, au moment où je termine l’article je viens de lire que finalement on aura le droit à Paris de ne pas porter le masque quand on circule seul en voiture (et même en vélo), il était temps que la canicule s’arrête.
A suivre encore un château, un maousse costaud, genre blockbuster.
Bonne soirée
N.