“La prune vaut mieux l’avoir dans l’assiette que sur l’parebrise” gouaille le maraicher en s’abritant derrière son étal bio. Il y a beaucoup de monde ce dimanche matin sur le marché, comme il y avait beaucoup de monde hier soir dans les restos du quartier. Nous avons poussé la porte de quelques d’établissements hélas complets avant de nous rabattre sur une valeur sûre, une merveilleuse cantine proche du Château de Vincennes tenue par un ancien champion de judo, j’y reviendrai à l’occasion. Un peu comme si tout le monde anticipait une fermeture imminente des établissements comme cela a été ordonné à Marseille, d’abord sur toute la métropole (92 communes…) puis finalement uniquement sur les deux principales villes.
Je suis loin d’être convaincu de l’efficacité de la mesure, mais cela doit être normal puisque d’après l’ancienne porte-parole du gouvernement nous autres Français souffrons d’une acculturation scientifique, traduction : nous n’y comprenons rien… Ceux qui doivent vraiment souffrir sont plutôt ses coachs en média training, une sortie pareille, en ce moment, c’est pour le moins peu inspiré.
Marseille ça tombe bien j’y étais le weekend dernier, quand l’automne est tombée d’un coup et que nous avons perdu dix degrés, ce qui nous a gratifié en contrepartie d’un beau coucher de soleil sur la corniche.
Allez on continue notre exploration de Paris face B, je vous propose aujourd’hui de découvrir deux nouvelles pépites un peu confidentielles, le Musée Jacquemart-André et le Musée Rodin.
Turner à Jacquemart-André
Remontons dans le Paris de “Bel Ami”, un Paris post Second Empire, colonial, où finance, politique, presse et grande bourgeoisie “collusionnent” gaiement, le monde d’avant quoi…
Parmi ces grands bourgois, Edouard André est l’héritier d’une des plus grandes fortunes. Bonapartiste, il commande en 1869 à celui qui vient de perdre le chantier de l‘Opéra de Paris, au profit de… Garnier, la construction d’un hôtel particulier sur le boulevard Haussmann fraichement percé, dans le but d’y recevoir, d’y faire la fête et d’y stocker sa collection d’art. Après avoir fait un peu de politique il va racheter la Gazette des Beaux-Arts, on nage toujours en plein “Bel Ami”, puis va finalement ne plus se consacrer qu’à ses collections.
Nélie Jacquemart est issue d’un milieu modeste, plutôt royaliste. Artiste dans l’âme elle se lance dans la peinture à une époque où les grandes écoles d’art sont encore interdites aux femmes. Portraitiste, plusieurs fois médaillée au Salon, où exposent les plus grands, elle va se faire un nom à la seule force de son talent, et va réussir l’exploit de vivre complètement de son art. Très demandée, Nélie va réaliser le portrait de personnages riches et importants, jusqu’à l’abominable Adolphe Thiers (on y reviendra). Parmi ces beautiful people le riche Edouard André qu’elle finira par épouser, et qui va la faire changer de monde et lui donner accès à la grande bourgeoisie.
Un décor théâtral
Dès lors, terminé la peinture pour la jolie Nel, le couple va se consacrer entièrement à sa passion de l’art et, entre concerts et réceptions, va voyager dans toute l’Europe dans le but enrichir les collections.
A la mort d’Edouard en 1894, Nélie va devoir se bagarrer avec la belle famille qui va essayer de mettre la main sur la fortune du défunt mari, toujours ce monde d’avant… Elle va gagner son combat et continuer leur œuvre en allant chercher des objets toujours plus loin, jusqu’en Asie.
Sentant la fin arriver, Nélie va léguer l’hôtel et les collections à l’Institut de France, sous condition qu’il soit ouvert au plus grand nombre. Dans son testament elle va penser le futur musée dans les moindres détails, jusqu’à l’emplacement des œuvres.
Voilà comment est né ce beau musée Jacquemart-André qui reste étrangement confidentiel. Comme tous les “petits musées” il doit faire marcher son imagination pour exister, et il propose en ce moment une rétrospective sur William Turner (1775-1851), le seul peintre anglais que je connaisse un peu. Les œuvres, principalement des aquarelles de ses débuts, sont prêtées par la Tate Britain; Turner ayant lui aussi tout légué à l’état à sa mort.
On avait parlé un peu des impressionnistes en allant nous balader à Giverny chez Claude Monet, et bien Turner a peint la lumière sans doute avant tout le monde. Je suis assez fan de ce qu’il propose, je ne suis pas le seul d’ailleurs le gars fait à peu près l’unanimité, et vous croiserez à cette expo un public assez divers, de tout âge, et plutôt amateur.
N’hésitez pas à aller découvrir cette pépite qu’est le Musée Jacquemart André, l’expo Turner court jusqu’en Janvier 2O21, toutes les infos ici.
Le Musée Rodin
On change maintenant de rive, mais on reste dans la même époque, pour aller découvrir tout proche des Invalides l’hôtel Biron, encore un bel hôtel particulier mais cette fois consacré au sculpteur Auguste Rodin.
Auguste Rodin est considéré comme le père de la sculpture moderne, et même quand on n’y connait rien comme moi on a quand même entendu parler de son Penseur qui est installé tranquillement dans les jardins du musée. Le Penseur était censé représenter au départ le poète Dante, méditant à côté de la Porte des Enfers, un autre œuvre qui trône également dans les jardins.
Bon je le confesse, je ne suis pas fan de sculpture et je fais partie de la lower-class qui n’a même pas vu le film sur Camille Claudel avec Adjani. Mais au-delà du plaisir de se promener dans un tel décor, j’ai également appris des choses intéressantes. Le Musée fait en effet appel à des guides ou des étudiantes qui s’ennuient un peu dans les jardins, et qui sont super contentes de pouvoir partager leur passion avec les visiteurs.
N’hésitez pas à aller les solliciter, le seul risque si vous y allez accompagné est ce sourire oblique et niais qu’on a nous les garçons quand on est sous le charme d’une jolie guide, ce sourire que votre moitié va vous rentrer tout fond de la gorge sitôt les talons tournés.
Parmi les nombreuses choses que je ne connaissais pas j’ai appris par exemple que Rodin et sans doute la plupart des autres sculpteurs produisent généralement une œuvre en plâtre, ils sous-traitent ensuite la sculpture de l’œuvre finale à des spécialistes, en fonction de la matière (bronze, marbre..). Des sortes d’imprimantes 3D sur pattes…
L’hôtel se visite également, il héberge sur deux étages beaucoup d’œuvres du maestro. La salle la plus intéressante reste à mon sens celle consacrée à Camille Claudel, élève géniale puis maitresse de Rodin, folle amoureuse du sculpteur et qui ne se remettra jamais d’avoir été utilisée puis larguée.
Il semblerait que Camille Claudel ait participé à pas mal de sculptures de Rodin sans avoir jamais été citée. Elle passera le reste de sa sa vie internée sur la demande de sa famille de notables qui voulait sans doute s’en débarrasser car gênante, la pauvre femme a eu une vie terrible.
Même si vous n’êtes pas fan de sculpture n’hésitez pas à aller pousser le grand portail de l’Hôtel Biron, toutes les infos ici.
A suivre, peut-être le Bois de Vincennes et son Château médiéval.
Bonne fin de weekend
N.