A l’arrêt sur un périph qui s’est considérablement chargé ces derniers jours, on peut déjà observer les premières feuilles tourbillonnant au-dessus des pare brises, dans une espèce de danse du spleen, et qui annoncent la fin prochaine de cet étrange été. Cette année la rentrée, qu’on maîtrisait plutôt pas mal et qu’on avait l’habitude de dérouler un peu à la manière d’une fiche réflexe, nous plonge un peu dans l’inconnu.
Mais d’ici-là les amis nous allons profiter des arrêts de jeu jusqu’au bout, et je vais vous emmener sur les pas des impressionnistes, un groupe de peintres qui a révolutionné le genre à la fin du 19ème siècle. Nous allons nous rendre pour commencer à Giverny où a vécu celui que l’on peut considérer comme leur chef de file, puis nous irons nous faire quelques toiles au Musée d’Orsay sur les bords de Seine à Paris.
Ambiance “Show me the Monet !” c’est parti…
Visite à Giverny
Giverny, à une petite heure de Paris, il faut imaginer une longue rue qui longe la Seine, bordée de quelques jolies maisons en pierre, de galeries, d’hôtels et de restaurants à touristes, et qui doit l’essentiel de sa notoriété à la maison de Claude Monet, sans doute le plus célèbre des impressionnistes.
J’ai une sympathie particulière pour ces impressionnistes, car la première expo que j’ai faite en arrivant sur Paris était une grande rétrospective qui leur était consacrée. Je n’y connaissais rien et j’avais laissé échapper un “Elle est douée la Camille” en contemplant un tableau de Camille Pissaro, ce qui avait fait sursauter la dame à côté, qui m’avait lancé un “C’est un homme Monsieur !” mi-effarouché, mi-désespéré…
Alors c’est quoi la définition de l’Impressionnisme ? Et bien il semblerait qu’il n’y en ait pas, mais bon j’ai gratté un peu le sujet, on va quand même pouvoir en dire deux trois choses.
Allez on remonte la pendule et on se retrouve à la fin des années 1860, à cette époque la peinture suit des règles académiques drastiques qui dictent les thèmes que l’on peut représenter, ainsi que la technique (le quoi, et le comment). En gros il faut privilégier les sujets historiques, religieux ou mythologiques. Le dessin doit être parfait tout comme les perspectives, la couleur reste un simple accessoire. L’oeuvre doit être parfaitement “achevée”, et le tableau lisse comme du marbre une fois terminé.
Quand à ceux qui voudraient déroger à la règle, ils se voient refuser l’accès aux salons officiels, et comme c’est là où l’on vend ils ne peuvent pas vivre de leur art, sauf à rentrer dans le rang.
Une poignée de ces peintres rebelles qui veulent faire sauter le carcan, une bande de potes, se retrouve régulièrement dans un café des Batignolles; à cette époque les cafés sont les lieux de rencontres des artistes de tous bords. Ils s’appellent Pissaro, Monet, Renoir, Degas, Sisley et quelques autres, et ils souhaitent instaurer un quatre-vingt treize (ie la révolution dans ce qu’elle a de plus extrême) de l’art pictural, une rupture totale avec l’Académie Royale de Peinture qui fixe les règles depuis Louis XIV
Fini les thèmes religieux ou antiques, le gang va se mettre à peindre des scènes du quotidien : les passants, les travailleurs, les danseuses, mais aussi les gares, les usines, les cafés, les plages… sans oublier leur sujet de prédilection : les loisirs d’une société qui bascule dans la modernité.
Au delà des thèmes c’est toute la technique qui va s’en trouver chamboulée. Fini les dessins parfaitement exécutés, les sujets sont à peine esquissés, souvent flous, et c’est la lumière, donc cette couleur si secondaire, qui va prendre toute la place pour retranscrire non pas ce que les peintres voient, mais ce qu’ils ressentent…
Dubitatif devant le tableau “Impression de soleil levant” de Monet, un critique célèbre va se moquer en gaussant que ces gars là ne sont pas des peintres, mais des “impressionistes“.. on est en 1874, et le courant vient d’être baptisé.
Les amis, ne le répétez pas mais “Impression de Soleil Levant” il est à la maison.. bon pas certain que ce soit l’original car je l’ai vu aussi au Musée d’Orsay, l’un de nous deux s’est fait avoir…
Alors comme on peut s’en douter, ni la critique ni le public n’étaient prêts à reconnaître ces nouveaux peintres dont on dit qu’ils se contentent de tirer au fusil des cartouches de couleurs sur des toiles, toiles qu’ils n’ont plus ensuite qu’à signer.
Les salons officiels leur sont fermés, ils vont donc devoir monter leurs propres expositions, un espèce de “off” de la peinture, aidés quand même par certains visionnaires qui voient en eux les génies de demain, et qui troquent les toiles des futurs maîtres contre un peu de matériel ou la mise dispo de lieux pour les exhibitions. A part Caillebotte qui a une petite fortune personnelle et qui aide comme il peut, la plupart des impressionnistes ont de gros soucis financiers, mais font preuve d’une solidarité qui leur permet d’attendre l’éventuel succès.
Il va se passer douze ans entre la première exposition impressionniste de 1874 dans l’atelier d’un ami photographe, et la dernière en 1886 qui sera un peu tronquée à cause des dissensions. Sur les 55 peintres qui vont participer au mouvement, beaucoup ne sortiront pas de l’anonymat ou y retourneront très vite, et pas forcément les moins douées.
Le succès ne sera jamais vraiment au rendez-vous, mais certains vont quand même tirer leur épingle du jeu et sont aujourd’hui des galactiques de la discipline; on peut citer Claude Monet dont on vient de visiter la maison, Pierre-Auguste Renoir (pour les plus jeunes ce n’est pas du verlan, c’est son vrai nom) dont j’apprécie particulièrement le boulot, l’anglais Alfred Sisley, l’anarchiste Camille Pissaro, l’aristocrate Edgar Degas, Edouard Manet, et parmi les quelques filles Berthe Morisot
Et voila la visite de la dernière demeure de Monet se termine, si un samedi vous n’avez rien de prévu et que le temps s’y prête n’hésitez pas à aller balader du coté de Giverny, les jardins sont encore splendides. Cela vous permettra en plus de quitter une petite couronne où le masque est maintenant obligatoire partout en extérieur, ce qu’à titre perso je trouve idiot, voire dangereux.
Attention la visite du site se termine comme toujours par le magasin, et celui-là est particulièrement beau et bien achalandé, vous risquez d’y laisser quelques zorros.
Allez on quitte le Normandie et on met le cap sur Paris pour continuer notre balade au pays des impressionistes…
Les Impressionistes à Orsay
Je ne vais pas présenter Orsay qui est un blockbuster en terme de musée parisien. Pour ceux qui ne seraient jamais venus à Paris c’est le grand bâtiment qui ressemble à une gare (pas de mystère, il en fût une) et qui fait face au Jardin des Tuileries de l’autre côté de la Seine.
Avec le temps (et l’argent) les œuvres impressionnistes se sont trouvées dispersées dans les plus grands musées: New York, Washington, Londres, Saint-Petersburg… Mais le Musée d’Orsay en a récupéré une belle collection qui se trouve tout en haut du bâtiment, presque sous les toits. Petite astuce en arrivant: vous traversez le grand hall et tout au bout, presque caché, vous trouverez un escalator qui monte directement au cinquième étage, l’étage des impressionnistes.
Coté réservation vous devez choisir un créneau horaire pour votre visite ce qui limite (fortement) l’affluence, j’avais pris 11h30 mais je n’ai aucun souci pour entrer plus tôt.
Rassurez-vous on ne va pas faire la tournée des tableaux cela n’a aucun intérêt; c’est juste histoire d’illustrer un peu ce style qui a fait scandale à ses débuts, ce style “peint à la va vite”, “pas terminé”, sans grand respect pour les tracés et les perspectives, et où la couleur renvoie les impressions de l’artiste plutôt que la réalité.
La série des nymphéas et les coquelicots de Monet illustrent bien le style, de quoi filer une syncope aux experts de l’époque.
C’est vrai qu’avec l’avènement de la photographie, la peinture avait intérêt à s’éloigner un peu du réalisme pour explorer autre chose. De plus, l’arrivée de la peinture en tube qui remplace la poudre inutilisable à l’air libre, associée à la démocratisation du train, a permis aux artistes d’aller peindre en extérieur des paysages baignés dans leur lumière, plutôt que de les restituer en atelier.
On continue la promenade avec Pissaro qui est relativement bien représenté dans le musée. Le gars était le plus rebelle de toute la bande, et tandis que les autres s’exerçaient au Louvre en copiant les œuvres histoire de progresser, lui n’a jamais voulu entrer dans un musée afin de ne pas se laisser influencer.
On termine la balade picturale avec Renoir; le musée possède plusieurs œuvres dont ce tableau de guinguette à Montmartre, où le peintre va amener son chevalet pendant tout un été et faire poser tous ses potes.
En remontant le temps vous terminez dans la salle des posts impressionnistes, qui pour certains ont assisté à la dernière exposition impressionniste de 1886, et qui ont poussé le subjectif encore plus loin en inventant le pointillisme qui consiste à peindre avec des… points.
Les tableaux c’est sympa, mais l’incontournable de la visite du 5ème étage reste quand même la photo de l’envers de la grande horloge qui trône sur la façade du Musée, vous la trouverez tout au bout de l’étage.
Au passage le musée propose une expo temporaire du peintre James Tissot que je ne connaissais pas, l’expo est comprise dans le prix du billet et mérite de prolonger un peu sa visite. Pour le coup on est loin des impressions de la bande à Monet, le gars peint de façon très réaliste, et avec talent, comme pour ces convives embarrassés car arrivés trop tôt à la soirée…
Les amis on termine ici cette petite escapade chez les impressionnistes, l’idée n’était pas de tout aborder en détail, il y a certainement des livres très bien faits pour cela, mais d’en comprendre un peu la philosophie. Nous sommes maintenant parés si d’aventure nous devions nous retrouver piégés dans une soirée bobo de pré-rentrée.
Vous maîtrisez parfaitement le vase de Soisson, les bourgeois de calais n’ont aucun secret pour vous, vous avez même des révélations à faire sur la véritable identité de Jeanne d’Arc ? Peu de chance que l’histoire de France s’invite à la soirée, pas plus que le “onze de départ” de l’Olympique de Marseille sur lequel vous avez beaucoup à dire. Mais entre le “zéro déchet”, le développement personnel, les dernières cantines bios et les nouveaux lieux éco-responsables, les impressionnistes vont peut- être pousser à un moment la porte de la soirée, et là les amis faites-vous plaisir.
A suivre, Paris la face B, avec quelques petits lieux qui méritent qu’on s’y intéresse un peu.
Bonne soirée
N.