Avaler les grands espaces, se poser au hasard des motels au charme désuet, se réveiller chaque matin dans des décors dignes des grands westerns de la Paramount, c’est là tout l’enchantement d’une escapade dans l’ouest américain. C’est du moins ce qu’on imagine, tandis que le Boeing d’America Airlines amorce sa descente sur Salt Lake City avec presque 10 heures de retard; l’avion qui devait faire la liaison depuis Dallas a été foudroyé, l’avion de secours avait des traces d’huile suspectes dans un bloc moteur (dixit le “captain”), il a fallu attendre longtemps le le feu vert.
Mais la magie des longs courriers fait que la fatigue disparaît dès la douane et l’immigrations passées. Le temps d’échanger la spyder décapotable très (beaucoup trop) nerveuse qu’on avait réservée contre un gros SUV bien confortable, et c’est parti direction down town Salt Lake City.
Salt Lake City, bienvenue chez les Mormons
La capitale d’Utah est surtout connue comme le siège des Mormons (nom officiel “The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints”) , une église (certains diront une secte) très prosélytiste, importée au milieu du désert par des pionniers fuyant les persécutions. Toute la ville est construite, et se définit, autour du Temple. Ici au moins un habitant sur deux est mormon, et comme ils ont des règles de vie très strictes (pas d’alcool, pas de café ni autres excitants, dress code rigide, conduite bienveillante…) on a vite l’impression de se balader dans une ville extra-terrestre, où tout le monde est anormalement poli et gentil.
Et encore plus les missionnaires que vous allez rencontrer en visitant le temple (du moins les parties ouvertes aux non-adeptes), qui sont plutôt jeunes et sympas, et il y en aura toujours un ou une qui parle votre langue, même la plus exotique, histoire de vous raconter à quel point vous seriez plus heureux en les rejoignant.
Vous allez vite vous apercevoir que l’église a les moyens , chaque adepte est censé lui reverser la dîme (le dixième de ses revenus). Au passage, de par leurs rites (ils baptisent leurs ancêtres) les Mormons ont développé la plus grande base de données généalogique au monde, ce qui attire beaucoup de touristes en quête de leur propre histoire.
Une chose à faire absolument est d’aller voir jouer l’orchestre Mormon dans ce qu’ils appellent le Tabernacle, avec les chœurs et les immenses orgues c’est assez impressionnant. Pour finir avec les Mormons, leur religion encourage la polygamie, pas trop en ville car la loi l’interdit, mais tout l’Utah est Mormon, et dans les villages reculés on ne s’en prive pas.
C’est vrai que cette ville sympathique semble quelque peu “ovniesque”, et après avoir passé une grosse journée en mode David Vincent (une référence à l’attention des plus jeunes), s’attendant à tout moment à voir décoller leur Temple pour rejoindre la planète mère, il est temps de reprendre la voiture et de mettre le cap au Sud, direction les contrées sauvages des canyonlands.
Arches et les Canyonlands
Après la pluie vient le désert. Les gros nuages laissent place à des paysages rouges baignés d’une petite brume. C’est presque 400 bornes qui séparent SLC de la ville de Moab notre prochaine étape, et oui les amis l’Ouest Américain c’est beaucoup de route, si vous n’aimez pas conduire choisissez une autre destination. Mais contrairement à d’autres pays, ici les paysages changent constamment, chaque virage débute un nouveau spectacle.
Moab est une petite ville dont le seul intérêt est de se trouver très proche de Arches et des Canyonlands. Avant de partir balader on a explosé une belle pile de pancakes, et on s’est mal compris avec la serveuse qui a balancé les quelques restes que nous pensions emporter pour plus tard… No souci, la miss a insisté pour nous refaire une énorme pile de pancakes à emporter, la fameuse notion du service à la ricaine.
Bien repus, nous mettons le cap sur Arches qu’il faut imaginer comme une succession… d’arches , mais des balèzes, sculptées par des millions d’années d’érosion.
Mais si le site d’Arches est impressionnant, les immenses canyonlands offrent un paysage dantesque qui vous restera gravé à jamais dans la tête. Je ne sais pas si les menaces d’orages ont découragé les visiteurs, mais nous nous sommes retrouvés seuls au milieu de paysages lunaires, sur les pas des premiers habitants.
“Island in the sky”, “Needles”, “The Maze”, les Canyonlands sont divisées en plusieurs régions plus ou moins accessibles, s’adressant à un public plus ou moins averti (pour ceux qui ont vu le film “127 heures ” inspiré d’un accident dans les Canyonlands), ici peut-être plus qu’ailleurs il faut rester humble face à dame nature.
Vous l’aurez compris, les Canyonlands sont un incontournable, la zone est immense et il faut plusieurs heures de route (pas toujours carrossable) pour rallier les différents points, vous pouvez y consacrer le temps que vous souhaitez.
Monument Valley, chez les Navajos
Après avoir crapahuté dans les canyonlands, mettons maintenant le cap sur l’Arizona, direction la réserve des indiens Navajos, cousins des Apaches, et de leurs territoires sacrés.
Alors aujourd’hui, plutôt que réserve, on parlera de la “Navajo Nation” qui est un territoire semi-administré par les amérindiens, d’ailleurs on change d’heure en y entrant. Certains confondent Monument Valley avec le Mont Rushmore (célèbre montagne où sont sculptés les visages des présidents). Et bien cela n’a rien à voir, Monument Valley et ses mesas pourpres qui se découpent sur le ciel bleu va immédiatement vous replonger dans vos westerns préférés, des sept mercenaires aux tuniques bleues, sur fond d’harmonica.
On comprend aisément que de tels lieux puissent être sacrés pour ces amérindiens, qui ont longtemps été malmenés avant de pouvoir acquérir un peu d’autonomie. Mais dans ces réserves le désœuvrement et l’alcool font des ravages… tous les voyants sont au rouges pour une communauté frappée par la précarité, au point qu’il est semble-t’il déconseillé aux filles voyageant seules de sortir le soir dans certains villages de la réserve (ne me remerciez pas les copains si des jolies filles vous sollicitent pour un road trip aux states).
Alors si nous étions seuls dans les Canyonlands, ce n’est pas vraiment le cas de Monument Valley, qui attire du monde même hors saison. Au passage, nous avons apprécié d’avoir échangé la Spyder sportive contre une voiture plus confortable, les routes ici sont parfois à la limite du praticable.
Et voilà nous quittons ces paysages mystiques avec le coucher de soleil dans le dos et “I’m a poor lonesome cowboy” dans la tête, cap maintenant sur Bryce Canyon, un autre incontournable de toute escapade dans l’ouest Americain qui se respecte
Sur la route de Bryce Canyon
Les américains ont un mot, “scenic road“, pour qualifier les routes qui passent au travers de paysages d’exception. Et la route que nous allons prendre pour rejoindre le Bryce Canyon est particulièrement “scénique“.
Après avoir suivi un peu le fleuve Colorado, que l’on retrouvera dans quelques jours pour le clou du spectacle, nous allons faire un stop au confidentiel Capitol Reef, avant de monter sur le Grand Staircase et rejoindre le canyon.
Même si la route est une attraction à part entière, il ne faut pas hésiter à faire le petit détour qui va vous emmener dans Capitol Reef, l’un des parcs les plus sauvages et les moins accessibles, histoire de retrouver un peu de solitude après Monument Valley.
Après avoir traversé la montagne Boulder, avec parfois le vide de chaque coté de la route, la récompense est au bout du chemin avec l’apparition au soleil couchant des étranges cônes colorés du Bryce Canyon
Bryce Canyon, au pays des hoodoos
Un esprit vif et alerte pourrait penser que le Bryce Canyon est au final un canyon nommé Bryce. Alors s’il s’appelle bien Bryce du nom d’un charpentier Mormon (rappelez-,vous nous sommes toujours dans l’Utah), il n’est en rien un canyon: c’est un amphithéâtre peuplé d’étranges cônes colorés, les hoodoos, qu’on appelle chez nous cheminées de fées ou encore demoiselles coiffées.
Dans l’ouest américain il faut être équipé, car on peut se trouver le matin dans la fournaise d’un bassin, et quelques heures plus tard à 3000 mètres d’altitude, ce qui est le cas ici, les nuits sont fraîches.
Je vous recommande au passage de rester dormir sur le site, vous pourrez ainsi profiter de la compagnie des animaux qui vont sortir en début de soirée, et être sur place tôt le matin pour partir en randonnée.
Voilà, on peut maintenant “ticker” la case Bryce Canyon et remettre le cap sur la nation Navajos, pour aller explorer deux sites naturels à ne rater sous aucun prétexte.
Antelope Canyon, retour chez les Navajos
Dans l’ouest US vous trouverez beaucoup de petites villes qui se résument à une “main street”, quelques restaurants et quelques motels. Cela fait partie du charme d’un roadtrip que de récupérer ses clés au desk désuet d’un motel perdu, et d’aller garer sa voiture devant la porte de sa chambre. Mais il y aussi quelques petites villes qui ont un certain cachet, Kanab est l’une d’entre-elles, et c’est donc là que nous allons poser nos valises avant d’aller découvrir Antelope Canyon et Horseshoe Bend.
Antelope Canyon se situe dans la réserve Navajos, mais coté Arizona (Navajos nation est la plus grande réserve amérindienne, à cheval sur plusieurs états). C’est une ancienne gorge, sur plusieurs niveaux, très photogénique de par les jeux de lumières qui filtrent par les ouvertures.
Renseignez-vous quand même sur la météo avant de descendre dans les gorges, s’il y a des orages sur les hauteurs il faudra patienter, il y a déjà eu des morts à cause de crues subites.
Dans la foulée d’Antelope Canyon vous pouvez pousser jusqu’à Horsehoe Bend où le Colorado fait un “fer à cheval” (horseshoe) spectaculaire. Ce site était plutôt confidentiel quand nous y sommes allés, il a été popularisé ces dernières années par les Instagram et consorts.
Une grosse journée, et demain c’est la montée vers le Grand Canyon du Colorado, sur les grands plateaux de l’Arizona.
Le Grand Canyon du Colorado
Alors, s’il n’y avait qu’une seule chose à voir dans le grand ouest, ce serait le Grand Canyon. J’ai eu la chance d’y aller plusieurs fois, à chaque fois l’émotion et la même, et la vision à couper le souffle.
La rivière a creusé la roche pendant des centaines de millions d’années, et le résultat est dantesque. Les meilleurs points de vues et les quelques aménagements sont sur la rive Sud du canyon, c’est par là qu’il faut commencer pour une première visite.
Le site est bien entretenu et assez fréquenté, vous pouvez facilement randonner sur la rive, toute une partie est fermée à la voiture et il vous faudra prendre le bus des fameux rangers pour rejoindre les différents points.
Attention, comme à Bryce Canyon vous êtes ici à plus de 2500 mètres d’altitude, et selon la saison il va faire froid. Vous pouvez descendre au fond du canyon mais l’exercice n’est pas sans danger, l’effort est inversé par rapport à une rando en montagne car c’est au retour qu’il va falloir grimper, et plus on descend plus la température augmente, il faut prévoir de l’eau en conséquence.
Je n’ai pas eu l’occasion de descendre et je me garde cela pour une prochaine visite, idéalement il vaut mieux dormir en bas au bord de la rivière plutôt que de faire l’aller-retour dans la journée, mais les places sont chères et il faut réserver longtemps à l’avance.
Le clou du spectacle est arrivé un peu en avance, mais la balade n’en est pas pour autant terminée: direction Las Vegas par la mythique route 66 histoire de terminer en mode chill.
Viva Las Vegas
La route 66 est la route mythique qui reliait Chicago à Santa Monica (Californie) jusqu’en 1985, en traversant quasi tout le pays. Si officiellement la route n’existe plus, il en reste quelques fragments délicieusement kitchs, notamment entre les villes de Williams et de Kingman.
Thelma et Louise, Forrest Gump, Easy Rider, Bagdad Cafe... on ne compte pas les grands classiques du cinéma qui ont traîné leurs pellicules sur cette route synonyme d’aventure, où l’on partait refaire sa vie quand on avait tout perdu. Aujourd’hui la route reste essentiellement touristique, pour l’aventure il faudra chercher ailleurs.
Après quelques heures de route les premiers buildings de la ville mirage apparaissent au milieu du désert des Mojaves, peut-être le plus aride des déserts américains. Si Vegas a également été fondée par des Mormons, on est aux antipodes de Salt Lake City par laquelle nous avons commencé, ça semble déjà tellement loin.
Alors, si vous couchez tout ce que vous n’aimez pas sur le papier, d’autant plus si vous avez la fibre un peu écolo, vous risquez de tomber exactement sur Las Vegas qui cumule tous les vices, avec en premier lieu un gaspillage de ressources dépassant l’entendement.
Et pourtant vous risquez de vous piquer au jeu, et au final d’y passer un excellent moment, en prenant les remords “à emporter”, histoire de les consommer dans l’avion du retour.
Après quelques péripéties sur lesquelles je ne vais pas m’étendre, nous finissons la soirée dans un pub où deux pianistes s’affrontent. Vous leur glissez un papier avec n’importe quel morceau (plus un petit billet) écrit dessus, du heavy metal comme de la funk ou du rap, et ils vous le jouent en live.
Evidemment, et pour que le show soit total, les deux pianistes s’insultent copieusement; et lorsque l’un joue l’autre harangue la foule en hurlant que pour 20 dollars il va lui fermer sa g.. en jouant par dessus, et bien sûr les billets verts pleuvent sur les pianos.
J’ai remarqué que lorsqu’un pianiste ne connait pas un des morceaux qu’on lui a commandé, il fait signe discrètement à l’autre qui se charge alors de capter l’attention de la salle, permettant au premier d’aller télécharger en douce les partitions sur son portable. Le show est bien rodé, on est bien au pays du cinéma.
Une soirée “veille de départ” d’anthologie, made in USA, on a adoré.
Et voilà, ainsi s’achève ce merveilleux road trip au far west, j’espère que je vous aurais donné l’envie d’aller parcourir ces beaux paysages et de juger par vous même.
C’est un voyage facile, à condition comme toujours de préparer un minimum, et de ne pas se mettre tout seul en difficulté.
N.