Je n’ai pas pu totalement échapper ce week-end au couronnement de Charles, et à voir l’enthousiasme des médias nationaux j’ai l’impression que certaines élites ont parfois la nostalgie de cet ancien régime où finalement le peuple n’avait pas d’autre occupation que de subsister. Au crédit de nos amis anglais l’évènement a été partagé par le plus grand monde, ce qui contraste fortement avec la cérémonie du 8 mai et des Champs-Elysées bunkérisés jusqu’à la Seine. Une commémoration à huis clos pour un exécutif qui préfère multiplier les entorses aux libertés plutôt que d’affronter la réalité de sa popularité.
Je ferme la parenthèse actu; après les magnifiques jardins Albert Khan nous restons dans le thème de ces parcs un peu méconnus et qui méritent que l’on s’y attarde, direction le Parc de Sceaux au sud de Paris pour une balade dans l’histoire, et pour ne rien gâcher au milieu des cerisiers en fleurs.
Les vacances de Mr Colbert
C’est Jean Baptiste Colbert, le célèbre mais aujourd’hui décrié ministre des finances de Louis XIV, qui va acquérir en 1670 le domaine de Sceaux, alors une vague seigneurie médiévale, afin d’y établir sa maison de campagne. Colbert s’est débarrassé de Fouquet 10 ans plus tôt (rappelez-vous l’article sur Vaux le Vicomte), il entreprend à Sceaux des travaux considérables et fait appel à l’incontournable André Le Nôtre pour dessiner les jardins.
Après cinq ans de gros travaux, Colbert va donner une fête pour le roi, mais il a appris de l’erreur de Fouquet et de sa magnifique soirée à Vaux qui avait rendu Louis XIV fou de jalousie, on connait la suite (et si on ne la connait pas on regarde ici).
Colbert va la jouer parfait courtisan, faisant même célébrer le roi par la population de Sceaux, toute casserolade étant proscrite.
A la mort de Colbert son fils reprend le domaine et le remanie en profondeur, demandant à Le Nôtre de créer un second axe perpendiculaire le long d’un grand canal. Il y recevra également le roi et sa cour mais sans aucun incident, décidément chez les Colbert on sait faire profil bas.
“l’abeille” duchesse du Maine
Le domaine va passer par la suite entre les mains de la belle duchesse du Maine, Louise Benedicte, qui a épousé le fils préféré de Louis XIV. Bonne pioche, pas vraiment car le duc du Maine est ce qu’on appelle à l’époque un bâtard, il est né d’une relation illégitime et donc n’a pas les mêmes droits que les princes de sang.
Elle enrage Louise Benedicte, elle est toute petite (son surnom était la poupée de sang) mais est belle comme un cœur, intelligente, douée dans tous les domaines, et obligée de se fader ce grand dadais qui n’a aucun avenir politique… Alors elle le pousse, elle le menace, elle le violente, elle l’humilie son duc de mari, et il n’a pas intérêt à trop à contrarier celle qui se compare volontiers à une abeille, petite mais vive et capable de donner les pires souffrances.
L’ordre de la mouche à miel
Elle s’ennuie Louise, aussi elle va créer son propre Ordre de la Mouche à Miel dont le symbole est bien sûr une abeille, un peu pour se moquer de la chevalerie, beaucoup pour se distraire car en plus elle est insomniaque et elle ne supporte pas de rester seule. Avec cette nouvelle cour qui attire les plus grands esprits, tels Montesquieu, d’Alembert ou encore Voltaire, la duchesse va organiser des fêtes mémorables dans un excès absolu : musique, bals masqués, théâtre, illuminations, feux d’artifices… qui resteront comme “les grandes nuits de Sceaux” .
La Case prison
Contre toute attente, Louis XIV qui adorait le duc de Maine va le mettre dans son testament au-dessus de ses frères princes de sang, mais la régence va casser le testament et devinez qui va être folle de rage ? Louise va entrer dans une conspiration contre le régent et va forcer le duc, qui est a priori un gars intelligent mais faible, à la rejoindre.
Et en 1718 elle va se retrouver en prison… un sacré numéro l’abeille, qui finira tranquillement ses jours en dirigeant sa cour, tout en rêvant qu’elle mène la France.
Le parc aujourd’hui, Hanami et ses cerisiers
Aujourd’hui le parc appartient au département et fête ses cent d’ans d’ouverture au public. On peut espérer qu’on fera revivre pour l’occasion les fameuses nuits de Sceaux. En attendant vus pouvez aller admirer les cerisiers en fleurs dans un bosquet caché le long du canal.
Le parc, qui héberge un bon nombre de cerisiers, célèbre la fête japonaise de Hanami; une fête millénaire au japon à l’occasion de laquelle les paysans apportaient des offrandes aux pieds des arbres car ils pensaient que les dieux venaient s’y cacher au printemps et cela entrainait leur floraison.
Cette fête attire beaucoup de monde, et en premier lieu la communauté asiatique qui vient profiter de cette beauté tellement éphémère.
Et voilà les amis pour cette escapade au parc de Sceaux, je finirai cet article par un dernier clin d’œil à la duchesse et cette description faite par Saint-Simon, un proche de la régence qui la détestait cordialement, mais c’est drôle et ça donne une idée de la personnalité piquante de l’abeille.
“ La duchesse du Maine avait du courage à l’excès, entreprenante, audacieuse, furieuse, ne connaissant que la passion présente et y postposant tout, indignée contre la prudence et les mesures de son mari qu’elle appelait misères de faiblesse, à qui elle reprochait l’honneur qu’elle lui avait fait de l’épouser, qu’elle rendit petit et souple devant elle en le traitant comme un esclave, le ruinant de fond en comble sans qu’il osât proférer une parole, souffrant tout d’elle dans la frayeur qu’il en avait et dans la terreur encore que la tête achevât tout à fait de lui tourner. Quoiqu’il lui cachât assez de choses, l’ascendant qu’elle avait sur lui était incroyable, et c’était à coups de bâton qu’elle le poussait en avant. Gâtée par la complaisance sans bornes de M. du Maine, elle était devenue une manière de divinité fort capricieuse, qui se croyait tellement tout dû qu’elle ne croyait plus rien devoir à personne. »
Bonne fin de week-end
N.