Le Paris underground mettant du temps à redémarrer, nous allons retourner un peu dans la carte postale et en profiter pour aller célébrer ces jardins parisiens qui nous nous ont tant manqué pendant le confinement. Je pensais vous emmener découvrir mon beau Bois de Vincennes mais ce serait commencer le feu d’artifice par le bouquet final, nous allons donc plutôt commencer par les Jardins du Luxembourg qui s’étirent sur la rive gauche, entre le quartier Latin et le Montparnasse, et qui abritent entre autres le Sénat.
Ambiance “de Marie de Médicis à Victor Hugo” c’est parti…
Je monte les quelques marches qui mènent à la sortie du métro Hotel de Ville, les vibrations des tambours et des slogans annoncent la proximité immédiate d’une manif. Je hâte le pas pour avoir peut être une chance de photographier Assia Traore à la tête de son Comité Adama, mais à Paris une manif peut en cacher une autre, moins trendy, et je fais surface juste devant un cortège de kurdes protestants contre la politique d’Erdogan; c’est un peu comme si vous aviez cru voir arriver le bus des Cure et qu’une fois garé c’est Indochine qui en descend.
La poussée Décoloniale
Ce que l’on peut d’ores et déjà constater dans ce monde d’après, c’est que ceux qui pensaient que la crise éteindrait la contestation se sont trompés. On s’attendait à ce que les corps de métiers en manque de considération et qui se sont illustrés pendant la crise aillent grossir les rangs de la protestation sociale. Attendu aussi le retour en force des Extinction Rebellion et autres fers de lance 4.0 de la lutte climatique, qui ont maintenant la preuve s’ils en doutaient qu’un gros coup de disjoncteur dans l’activité a des effets bénéfiques sur l’environnement, et qui ont du passer les semaines de confinement à peaufiner les actions spectaculaires à venir.
Ce que l’on n’a pas vu venir par contre, c’est ce mouvement contre le racisme et les violences policières qui s’est illustré dès la sortie du confinement par des mobilisations massives, certainement catalysées par les manifestations “black lives matter” outre-atlantique et la mort de Georges Floyd. Les amis, là nous allons certainement entrer dans un débat passionnant mais compliqué, car derrière cette protestation se cache sans doute la poussée du “décolonialisme“, un courant de pensée qui nous vient à la base d’Amérique Latine, repris par la suite par des auteurs africains et caribéens, et qui semble gagner du terrain dans le monde universitaire et chez les intellectuels.
De ce que j’en ai compris, et contrairement à ce que j’entends sur les plateaux télés, la pensée décoloniale va bien au delà de la lutte contre le racisme ou encore du devoir mémoriel consistant à déboulonner des statues ou à rebaptiser quelques rues. Les promoteurs de ce courant affirment que finalement la décolonisation n’a rien changé, et que le monde est pensé de sorte que les anciennes puissances coloniales restent dominantes, et donc les anciennes colonies dominées. Le décolonialisme n’est pas qu’une critique du passé, c’est avant tout une profonde remise en compte du présent, à tous les niveaux.
Le décolonialisme, retenez ce mot les amis, voilà un nouveau phénomène qui a mon sens va s’installer et faire débat dans les mois qui viennent, avec peut-être du positif à la clé sur notre vivre ensemble même si les échanges semblent mal engagés, à suivre…
J’arrive enfin devant les grilles des jardins qui comme souvent servent de support à une expo photos, mais avant d’y pénétrer je vous emmène dans un lieu que j’aime beaucoup et dont j’ai fait lundi la réouverture: la Comédie Nation.
La Comédie Nation
La Comédie Nation fait partie de ces pépites qui ont une programmation artistique aussi originale que diversifiée, et où il y a une véritable interaction entre les artistes et les spectateurs. Dirigé par Pascaline Garnot et son équipe de passionnés, le lieu qui fait office à la fois de théâtre et de salle de concert propose des œuvres de qualités, et il n’y a qu’à regarder la programmation de la première semaine (chants perses, groupe de rock, pianiste classique, tango argentin… plutôt une reprise musicale car le théâtre demande plus de temps pour redémarrer) pour juger de la richesse de l’offre.
Vous trouverez le programme et toutes les infos sur la Comédie Nation ici.
J’ai donc fait la réouverture Lundi dans une ambiance de libération: les musiciens, comme les spectateurs d’ailleurs qui sont souvent dans ce genre d’endroit artistes eux-mêmes, avaient visiblement une grande soif de retrouver la scène. Pour cette première nous avons eu droit à un très bon moment de musique avec Radio Days, un duo guitare voix qui revisite les grands classiques de divers courants, de la bossa nova au hard rock en passant par le jazz et la pop internationale.
Au passage, le groupe a très élégamment laissé la totalité de la recette au théâtre pour l’aider à se remettre en selle.
Le lieu a évidemment mis en place toutes les mesures barrières auxquelles nous sommes maintenant habitués, et la salle qui se sentait en sécurité a beaucoup chanté. Moi j’ai fait semblant pour ne pas gâcher quand j’ai vu le niveau autour de moi, avec des spectatrices qui reprenaient les refrains en harmoniques.
Au delà de passer une bonne soirée, je pense que c’est avant tout un acte militant d’aller aider ces lieux fragiles à redémarrer, car s’ils disparaissent nous allons perdre beaucoup de notre ADN. Donc n’hésitez pas à aller découvrir un beau spectacle à la Comédie Nation (qui se trouve à…. Nation) ou ailleurs; si vous jetez votre dévolu sur la Comédie Nation je vous y accompagnerai avec plaisir car j’ai décidé d’y aller au moins une fois par mois.
Je signale au passage que mon amie Laetitia Leterrier y donnera son spectacle De Vers en Verres pendant l’été.
Allez il est temps de retourner découvrir les Jardins du Luxembourg, avec quelques photos que j’ai pu prendre au fil de mes visites.
Les Jardins du Luxembourg
Nous sommes au début au tout début du 17ème siècle, Henri IV vient d’être poignardé à mort par le radicalisé (déjà) Ravaillac tandis que son carrosse est bloqué dans les embouteillages (déjà). Son épouse Marie de Medicis décide alors de quitter le Louvre pour s’installer à la campagne sur… la rive gauche, et oui à l’époque les portes de Paris sont au niveau de Saint-Michel, et au delà c’est la pampa.
Au départ je voulais en profiter pour revenir sur les guerres de religion mais comme j’ai déjà pas mal écrit et que j’essaye de faire plus court, je vais essayer de résumer en quelques lignes.
Au début du 16ème siècle les études du moine Luther vont jeter les bases d’un nouveau courant, l’Eglise Protestante, qui se veut plus près de la Bible, et entre autres ne reconnait ni les Saints, ni la Vierge Marie, ni le Pape (avec eux on échappait à Habemus Papam avec Michel Piccoli).
Très vite ça va frictionner entre catholiques et protestants (on dit aussi réformistes, calvinistes, huguenots…) mais les rois en place arrivent à maintenir l’ordre (ça vous parle?) jusqu’à la mort d’Henri II et la régence de la très catholique Catherine de Médicis qui va se faire déborder pas sa base ultra, en particulier la famille Guise (si vous voyez un méchant balafré dans un film de “cape et d’épée“, c’est probablement le Duc de Guise).
Va s’en suivre plusieurs guerres civiles entre la Ligue Catholique et les armées protestantes, avec en point d’orgue le fameux massacre de la Saint Barthélemy…
Nous sommes en 1572 en pleine paix précaire, Catherine de Médicis qui a déjà mis deux de ses fils sur le trône, semble vouloir consolider cette trêve en mariant sa fille ou chef des armées protestantes, Henri de Navarre. Toute la noblesse protestante a été conviée aux noces, le gratin est même logé au Louvre, ce qui fait rager les Ligueurs, le balafré en tête, et plus largement la population parisienne farouchement hostile à l’événement.
Les tensions débouchent vite sur les premières altercations, et ensuite tout a dérapé, personne ne peut dire exactement qui a donné l’ordre et si c’était prémédité, mais les portes de la ville vont se refermer et les protestants vont être massacrés durant toute la nuit par les Ligueurs, alliés à la population qui a visiblement été armée. Henri de Navarre en tant que cousin du roi sera épargné, c’est important pour la suite.
La guerre va donc reprendre de plus belle entre des protestants qui n’ont absolument plus confiance dans le pouvoir royal, et la Ligue qui devient tous les jour plus populaire, au point que le troisième fils de Catherine de Médicis, le nouveau roi Henri III, va en faire assassiner les chefs dont le Duc de Guise. Ce geste va lui valoir d’être chassé de Paris et de n’avoir d’autres choix que de s’allier aux protestants et à Henri de Navarre pour espérer récupérer son trône, la “routourne tourne” comme dirait un célèbre footballeur…
Quand Henri III, qui na pas de descendance, va être à son tour assassiné par un moine Ligueur, il va désigner avant de s’éteindre son cousin Henri de Navarre pour lui succéder.
Et oui vous l’avez compris les amis, le Henri IV qui se meurt au début de ce brillant chapitre et Henri de Navarre le grand chef des protestants ne font qu’un ! Quel rebondissement digne des meilleures nouvelles d’Agatha Christie, peut-être même des meilleurs épisodes de Scoubidou…
Avec la mort d’Henri III, la branche des capétiens valois vient de se terminer après plusieurs siècles de règne… Henri IV, qui n’a sans doute pas inventé la recette de la poule au pot, mais qui a plutôt dit qu’il ferait en sorte que chacun puisse mettre une poule dans son pot, inaugure la dynastie des Bourbons.
L’Hotel du Luxembourg
Nous pouvons revenir au début du récit.. A la mort du roi Marie de Medicis va donc quitter le Louvre pour aller s’installer à la campagne aux portes de Paris, et assurer la régence du jeune Louis XIII. Elle va acheter l’hôtel particulier du Duc de Piney-Luxembourg, le faire raser car il sonne un peu cheap, et faire construire par dessus un palais inspiré des palaces florentins plus dignes de son standing. Coté déco vu que les posters Ikea des rues de Manhattan on les trouve partout, la reine mère va plutôt faire venir le peintre Rubens histoire d’accrocher quelques toiles de maître aux murs.
Coté jardins la reine va également s’entourer des meilleurs, qui vont s’inspirer encore de Florence et des jardins de Boboli qui la surplombent. Pour les avoir visités la ressemblance ne m’a pas véritablement sauté aux yeux, mais sans doute qu’à l’époque…
Le Jardin des Enfants
Après la révolution, le Luxembourg va devenir Palais de la République, Napoléon va y installer le Sénat et va remodeler les jardins pour qu’ils soient dédiés aux enfants, et cela perdure depuis avec les bateaux et tous les jeux mis à dispositions des plus jeunes.
D’ailleurs je suis en train de terminer le livre II des Misérables, et Victor Hugo qui a été sénateur mentionne plusieurs fois les Jardins du Luxembourg, c’est notamment là que Marius va tomber amoureux de Causette qui s’y promène au bras de Jean Valjan. Là encore où les frères de Gavroche, qui sont affamés, vont aller piquer les morceaux de brioches jetés aux cygnes par les visiteurs huppés.
Les jardins sont grands, on y trouve même des ruches, et n’allez pas penser que c’est encore un coup des bobos qui mettent des abeilles de partout: les ruches sont présentes depuis plus d’un siècle, et on peut acheter leur miel une fois par an.
Et voila, vous connaissez maintenant peut-être un peu mieux ce grand jardin au cœur de Paris, et vous prendrez peut-être le temps d’aller y flâner par une belle journée d’été. Pour nous il est temps de rattraper les anniversaires qui sont tombés dans le lockdown, dans un petit restaurant sur le Montparnasse, à deux pas des jardins.
Bonne fin de weekend-end
N.