Le côté précurseur et chef de file d’un Monet, l’art de placer des références vers tous les domaines d’un Hugo… la comparaison est volontairement osée mais les anglais de Iron Maiden ont réussi à porter et assoir au niveau planétaire un style dont personne ne voulait.
Alors pourquoi eux ? Le fait d’être arrivés au moment où il y avait une forte demande de relève car la première vague (Led Zeppelin, Deep Purple, Black Sabbath…) commençait à s’essouffler a certes aidé, mais n’explique pas tout.
Il y a à mon sens plein d’autres raisons qui expliquent ce succès, mais nous les verrons plus loin car là j’ai un train à prendre, direction la Belgique et Anvers pour aller saluer les londoniens dont la tournée mondiale “The Future Past Tour” ne passe hélas pas par l’hexagone. Si tu ne vas pas à Lagardère… ambiance “Iron Maiden, Anvers mais avec tous” c’est parti.
Anvers, la médiévale
Le Thalis est un train agréable, passé Bruxelles il roule un peu en mode TER, ce qui laisse le temps de regarder défiler le paysage. Deux heures après avoir quitté Paris je débarque donc à Anvers, dont la première chose à voir est la gare elle-même, une cathédrale ferroviaire dont l’accès aux trains est desservi par un escalier “conte de fées”.
Direction le centre historique, j’étais venu à Anvers dans le cadre du boulot il y a quelques années, mais je n’avais pas eu le temps de pousser l’exploration. Cette fois j’ai pratiquement toute la journée devant moi, et je ne suis pas le seul à avoir opté pour le combo “visite + concert” si j’en crois les t-shirts à l’effigie du groupe que je croise un peu partout.
La ville historique
Pour rejoindre la vieille ville on longe d’abord le quartier des diamantaires. Et oui Anvers, avec ses innombrables ateliers et ses maitres tailleurs dotés d’un savoir faire-unique, est reconnue depuis des siècles comme la capitale mondiale du diamant.
Quand on se balade dans la vieille ville on a du mal à imaginer qu’Anvers est la commune la plus peuplée de Belgique, une des villes les plus étendues, et possède le second port d’Europe après Rotterdam.
Ici le mythe fondateur veut que la ville tient son nom du fait que le géant Antigone coupait les mains des marins qui ne payait pas leur droit de passage sur le fleuve, jusqu’à ce qu’un des marins ne coupe à son tour la main du géant et ne la jette (hand werpen) à l’eau. Des études plus sérieuses avancent une autre hypothèse, mais comme toujours quand la légende est belle, je préfère la légende.
Si comme moi pour vous n’avez pas préparé votre visite (j’avais la meilleure des raisons avec le pot de départ de super Maddly la veille, et qui m’a valu un réveil douloureux ce matin), le château au bord du fleuve abrite l’office du tourisme, j’y ai reçu un accueil des plus charmants.
Grande place du commerce et de la finance dès le Moyen-Age, centre d’art incontournable avec ses écoles de peinture et ses sculpteurs, la ville a une histoire mouvementée : tour à tour occupée par les bourguignons (remember la balade à vélo à Dijon), les espagnols, les autrichiens, les français, jusqu’à intégrer les Pays-Bas puis s’en séparer lors de la révolution qui va amener à la création d’une Belgique indépendante en 1830.
Les amis ici nous sommes en Flandre et donc on parle néerlandais. N’allez pas vous adresser aux locaux en français car vous passeriez pour arrogant, ce que vous n’êtes pas puisque vous consultez ce blog. Attaquez en anglais, il y a de fortes chances que grâce à votre accent de beau gosse on détecte toute votre francitude, et que votre interlocuteur enchaine avec le peu de français qu’il ou qu’elle possède. Beaucoup ont dû mal à se l’avouer, mais au fond ils adorent parler en français.
Après avoir pas mal marché et avoir visité quelques incontournables (la maison du peintre Rubens, la star locale, est hélas fermée jusqu’en 2027), c’est l’heure se poser pour déjeuner, ce qui va me sauver car le ciel va s’écrouler sur la ville et je n’ai aucun rechange.
Contrairement à mes coreligionnaires d’un soir qui se baladent en ville en portant les couleurs du groupe, craignant une forte chaleur et avec toute une journée à crapahuter j’ai opté pour les fringues que je porte quand je me balade en Asie (attention à la liaison) : top confort contre la chaleur et l’humidité, mais je ne vais pas échapper à un passage à la boutique en arrivant au concert.
Bon les amis, j’ai sans doute vu tout ce qu’on pouvait voir dans le temps imparti mais je vous laisse découvrir par vous-même cette jolie cité flamande, je conseillerais juste de jumeler une escapade à Anvers avec une visite à la ville rivale, la belle Bruges.
Il est maintenant temps de s’atteler à ce qui nous amène ici, le concert d’une des légendes du hard rock ou encore heavy metal (aucun de ces noms ne m’a jamais convaincu), les britanniques de Iron Maiden.
Iron Maiden
Iron Maiden c’est avant tout Steve Harris, jeune banlieusard londonien issu d’une famille modeste, fan absolu de West Ham et qui se prépare à une carrière de footeux. Mais la musique va le rattraper et il va s’y lancer corps et âme, sauf qu’il est hors de question d’abandonner ses rêves de ballon rond pour juste écumer les pubs en jouant des reprises.
Ne trouvant personne ayant une ambition comparable à la sienne, il va fonder Iron Maiden, groupe dans lequel il est le bassiste mais aussi le seul membre…
Arrive alors Dave Murray. Père invalide, mère au foyer, déscolarisé très tôt, Dave va se lancer dans la guitare pour imiter son idole Jimi Hendrix et rejoindre Steve Harris à la fin des années 70 pour former l’épine dorsale du groupe. Presque cinquante ans plus tard, ils auront été de toutes les campagnes et partagent toujours la scène.
Le premier album “Iron Maiden” en 1980 est une pépite qui va placer le groupe en tête des charts anglais. Succès confirmé par le second album “Killers”, mais le groupe veut changer de dimension et va se séparer de quelques musiciens (que j’aimais beaucoup) pour faire rentrer Adrian Smith le pote d’enfance de Dave en seconde guitare, et Bruce Dickinson au chant qui va devenir le frontman et leader charismatique du groupe.
Maiden sort alors son troisième album, “The number of the beast”, qui commence par une lecture d’un passage de l’Apocalypse de Saint-Jean, ce qui va entrainer une levée de boucliers de toutes les églises américaines, qui crient au satanisme et vont jusqu’à brûler les vinyles…
Any press is press, ce coup de pub va braquer les projecteurs sur le groupe et les aider à se hisser tout en haut de la planète métal, une place qu’ils occupent encore un demi-siècle après.
Le fantasque Nicko Mac Brain remplacera le regretté Clive Burr à la batterie, ce qui va donner le line-up de légende que j’aurai la chance de voir sur scène ce soir (je colle une photo piquée sur la toile) .
Des influences multiples
Au-delà de la musique qui est en est la clé de voute mais qui n’est qu’une composante, Maiden c’est à mon sens un art contemplatif, limite psychédélique, alimenté par toute une mythologie autour d’Eddie, le personnage mascotte dessiné par le talentueux Derek Riggs et qui apparait sur toutes les pochettes.
Les influences sont multiples: l’histoire, la mythologie, les livres saints, mais aussi la science-fiction, la poésie, la littérature… Chaque morceau, chaque pochette d’album regorge de références vers tous les domaines, on est aux antipodes du “drug, sex & rock’n’roll”.
Maiden c’est un peu un mélange de Blade Runner, de l‘Odyssée d’Homère, de Stranger Things, du Call of Cthulhu, des nouvelles d’Edgar Poe ou encore de la bataille d’Angleterre… Des groupes internet s’amusent à lister toutes les références, ils en découvrent encore des années plus tard.
Pour finir avec une anecdote qui montre à quel point ce groupe est hors norme, Bruce Dickinson, en plus d’avoir été champion d’escrime, a voulu assurer ses arrières en passant ses diplômes de… pilote de ligne. Il a bossé dans une compagnie anglaise pendant des années, il a même emmené les Glascow Rangers jouer des matchs de foot, et c’est lui qui pilote le Boeing 747 (baptisé “Ed Force One”) qui emmène le groupe et le staff en tournée.
Alors mon amie Maddly, avec qui nous étions la veille, me faisait remarquer que les fans de metal sont souvent snobs et ont tendance à mépriser les autres styles de musique. C’est assez vrai je le concède et je ne l’explique pas; après il y a une forte composante geek dans le métal, peut-être que le type d’anecdote qu’on a vues juste avant autour de Dickinson donne la grosse tête aux esprits étroits.
Concert au Sportpaleis
Retour à Anvers, 16h45 je décide de me rapprocher du Sportpaleis, mon pote Jacques doit me rejoindre et est en route depuis son chnord. Je file un coup de main à un couple de montpelliérains un peu perdus dans le métro, et je débarque dans le quartier du Palais des Sport qui s’avère être un no man’s land.
Hors de question de passer deux heures à zoner, je décide de retourner me jeter une dernière bière en centre-ville, le metro est direct jusqu’à la gare centrale. Tout proche de la gare le Beer Central, une institution où parmi les trois cent bières on peut gouter la fameuse “Triple d’Anvers”.
18h30 nouvelle tentative, les portes sont enfin ouvertes. Avec Jacques qui m’a rejoint c’est opération relooking, les fringues made in Bangkok ont bien rempli leur rôle mais là il est temps de passer à une autre dimension.
Comme toujours les boutiques sont prises d’assaut, malgré la débauche d’énergie des vendeurs il va falloir patienter et réitérer plusieurs fois nos efforts.
19h30, la première partie commence, le groupe Raven Age dans lequel joue le fils de Steve Harris s’emploie à chauffer la salle. Du metal sans surprise, mais qui fait le job.
La rumeur dit que le concert va s’articuler essentiellement autour de deux albums, le dernier que je ne connais absolument pas puisque j’ai arrêté d’acheter leurs albums il y a vingt ans, et Somewhere in time qui est un bon album mais trop intello à mon gout…
Scream for me Antwerpen
20h50, le Sportpaleis est plongé dans le noir, la musique de Blade Runner qui ouvre tous les concerts du groupe, puis les premières notes de Somewhere in Time, et c’est parti pour deux heures de show où les londoniens vont montrer qu’ils sont en pleine forme.
La rumeur avait raison, la majorité de la setlist est issue de Senjutsu et de Somewhere In Time, mais la magie opère quand même. L’occasion de réécouter quelques grands classiques comme “Stranger in a strange land” qui raconte l’exode, et de découvrir les nouveautés qui reçoivent un bon accueil. Il faut dire que Maiden a toujours su assurer une relève, un sondage à main levée a montré qu’un tiers de la salle n’était pas né lorsque le groupe a sorti ses grands classiques au milieu des années 80.
Quelques reliques des premiers albums viennent quand même dynamiter un peu la salle, il faut dire que vu de France le public belge est assez déroutant: plutôt contemplatif pendant les morceaux, il explose littéralement à la fin.
Comme à son habitude, Steve Harris place ses sprints à chaque changement de rythme (et Maiden abuse des changements de rythme), il court inlassablement sur toute la largeur de la scène.
Dickinson le frontman est au four et au moulin, il se positionne souvent sur la partie supérieure, se battant en duel avec un Eddie géant qui va monter sur scène à quatre reprises.
Maiden va jouer pour la première fois en concert le long mais cultissime “Alexander The Great”, qui reprend la vie du conquérant depuis son sacre jusqu’à sa mort à Babylone.
In an ancient land called Macedonia,
Was born a son to Philip of Macedon…“
Dickinson parle beaucoup (et vite) entre les morceaux, et il a un sacré accent british. A un moment il demande au public de lui dire quelque chose en Belge, les gens rigolent. Il demande alors quelque chose en néerlandais, les flamands se manifestent, puis il demande en français, et là comme attendu ça siffle. Dickinson coupe immédiatement les sifflets, rappelant que lorsqu’on vient voir Iron Maiden on vient dans un esprit universaliste et on accepte tout le monde, sinon on reste chez soi.
Maiden va finir le show avec le morceau “Iron Maiden” de leur premier album, valeur sûre pour renverser la salle. Puis dans les rappels ils vont placer les incontournables “Trooper” (un poème sur la bataille de Crimée qui a opposé les Français et les Anglais aux Russes en 1854) et “Wasted Years”, c’est pour ces monuments que j’ai fait le déplacement.
23h, la salle se vide, nous n’avons plus de voix mais nous sommes ravis d’avoir été là. Iron Maiden a déja donné rendez vous l’an prochain, on y sera. Au passage je valide totalement la combo “visite + concert” et je regarde déjà la programmation dans les pays voisins.
Bonne soirée
N.